Aux alentours de l’an 2000, un énorme changement s’est opéré dans la manière dont les enregistrements sonores et les productions audiovisuelles (AV) étaient largement accessibles et consommés. La création de Napster et de services de partage de fichiers de poste à poste du même genre, des copies numériques piratées de chansons, de films, d’émissions de télévision et d’autres types de propriété intellectuelle ont été mises gratuitement à la disposition de toute personne ayant accès à Internet. Cela a rapidement porté un coup financier énorme aux ayants droit qui recevaient des revenus de la diffusion traditionnelle à la radio et à la télévision, des sorties en salle et de la vente de supports physiques comme les CD et les DVD.
Dans un effort pour contrer le piratage et capitaliser sur la popularité de la consommation de médias numériques, des magasins en ligne comme iTunes ont été créés. Ils permettaient aux utilisateurs de payer pour télécharger légalement et de manière permanente de la musique (albums complets ou morceaux individuels), des émissions de télévision (saisons/séries complètes ou épisodes individuels) et des films, qui pouvaient également être « loués » en tant que téléchargements temporaires.
Si iTunes a connu un succès retentissant et a dominé les marchés de la musique numérique et de l’audiovisuel pendant quelques années, la poursuite du piratage et les modifications apportées au modèle commercial – par exemple en permettant aux consommateurs d’acheter des morceaux simples ou des épisodes de télévision plutôt que des albums ou des saisons entières – ont entraîné une baisse des revenus, en particulier pour la musique enregistrée.
Au début des années 2010, cependant, l’accès haute vitesse à Internet et aux ordinateurs personnels dotés de microprocesseurs puissants a fait de la diffusion en continu une alternative transparente au téléchargement. Ainsi, les fournisseurs de services numériques (FSN) et les services « de contournement » ont à nouveau modifié le modèle économique en offrant aux utilisateurs l’accès à de vastes bibliothèques d’enregistrements sonores et de productions audiovisuelles plutôt que la propriété de copies individuelles. Tout à coup, pour le même prix qu’un album sur iTunes, un auditeur pouvait avoir accès à des millions de chansons pendant un mois sur Spotify. Et le coût d’un billet de cinéma a permis de débloquer plus d’émissions de télévision et de films que l’on ne pourrait jamais s’approcher du visionnement en un mois sur Netflix.
Depuis l’introduction de ces services de diffusion en continu, les revenus tirés de la consommation d’enregistrements sonores, de films et d’émissions de télévision ont connu une hausse constante et spectaculaire. Et bien qu’il s’agisse apparemment d’une excellente nouvelle pour la solvabilité de ces industries médiatiques, la question de savoir si les contributeurs individuels tels que les créateurs de musique ont réellement bénéficié de ces changements sismiques et si l’écosystème ainsi modifié est durable sont des sujets de débat et seront explorés ci-dessous.
Musique numérique : Le parcours des droits et redevances
Bien que l’utilisation numérique des œuvres musicales ait ajouté une grande complexité à la façon dont certaines redevances sont calculées, le flux fondamental des droits et redevances n’a heureusement pas été radicalement modifié. Les sociétés collectives accordent toujours des licences aux utilisateurs/licenciés – dans ce cas, les FSN et les services de contournement – en échange de droits de licence, qui sont ensuite utilisés pour payer les redevances applicables aux créateurs de musique et/ou aux éditeurs de musique.
Néanmoins, à l’instar des médias traditionnels, le flux exact et les entités impliquées diffèrent quelque peu en fonction de certaines variables, notamment la manière dont l’œuvre musicale est livrée à l’utilisateur final.
Téléchargements
Au Canada, le téléchargement d’une œuvre musicale intégrée à un enregistrement sonore ou à une production audiovisuelle est considéré comme une reproduction et non comme une exécution. Par conséquent, une redevance mécanique, dérivée de la redevance de licence mécanique payée par le FSN ou le service de contournement, peut être générée et répartie par l’organisation de droit de reproduction (ODR) à l’éditeur – qui peut être une société de production si l’œuvre musicale est intégrée dans une production audiovisuelle – ou au créateur de musique autoédité. Les droits et redevances d’exécution ne sont pas un facteur. Cependant, il est important de noter que les sociétés de production demandent couramment le rachat de tous les droits de reproduction aux éditeurs et créateurs de musique lorsque leurs œuvres sont utilisées dans des productions audiovisuelles. Lorsque les propriétaires des œuvres musicales acceptent, les redevances mécaniques peuvent ne pas être versées pour les téléchargements.
Diffusion en continu
La diffusion en continu d’une œuvre musicale intégrée à un enregistrement sonore ou à une production audiovisuelle est considérée à la fois comme une exécution et une reproduction. Par conséquent, en plus de générer et de provoquer la répartition d’une redevance mécanique, une redevance d’exécution, dérivée de la redevance de licence d’exécution payée par le FSN ou le service de contournement, est générée et répartie par l’organisation de droits musicaux (ODE) au créateur de la musique et, le cas échéant, à l’éditeur, qui peut être une société de production. Cependant, il est important de noter que les sociétés de production demandent couramment le rachat de tous les droits de reproduction aux éditeurs et créateurs de musique lorsque leurs œuvres sont utilisées dans des productions audiovisuelles. Lorsque les propriétaires des œuvres musicales acceptent, les redevances mécaniques peuvent ne pas être versées pour les diffusions en continu.
Veuillez noter que ce débit s’applique à tous les types de diffusion en continu au Canada, mais que ce n’est pas le cas dans de nombreux autres territoires. Aux États-Unis, par exemple, lorsqu’un enregistrement sonore est diffusé en continu par le biais d’une diffusion non interactive ou semi-interactive (c’est-à-dire lorsque les œuvres musicales sont jouées dans un ordre déterminé par le service et sur lequel le consommateur ne peut exercer aucun contrôle ou un contrôle limité) par le biais de services tels que Pandora ou iHeartRadio, cela est considéré comme étant strictement une exécution. Only interactive (or on-demand) streaming through services like Spotify is deemed to be both a performance and a reproduction.
Calcul des redevances numériques
Téléchargements
Puisque le téléchargement permanent d’une œuvre musicale intégrée dans un enregistrement sonore ou une production audiovisuelle peut être considéré comme l’équivalent numérique du tirage d’un disque vinyle ou d’un disque Blu-ray, le calcul de la redevance mécanique générée par une telle reproduction est très simple. Selon le plus récent tarif pour les services de musique en ligne de la Commission du droit d’auteur du Canada, il s’agit de « 8,91 % du montant payé par les utilisateurs finaux pour les téléchargements de pistes audio », sous réserve de certains montants minimums. Le calcul des redevances pour les téléchargements limités (qui donnent accès à des fichiers pendant une période déterminée) est très semblable.
La répartition est tout aussi simple. Le titulaire de la licence tient un registre des fichiers téléchargés au Canada au cours d’une période donnée et transmet ces données aux organismes administrant les droits de reproduction – la CMRRA et SOCAN DR – qui calculent les redevances mécaniques et facturent le titulaire de la licence en conséquence. Une fois les droits de licence payés et les frais généraux des organismes administrant les droits de reproduction déduits, les redevances sont réparties entre leurs clients, éditeurs ou créateurs de musique autoédités respectifs.
Diffusion en continu
Déterminer les redevances de performance et les redevances mécaniques dérivées de la diffusion en continu est une tout autre affaire. Ce calcul est reconnu pour être très compliqué et, dans le cas de certains licenciés, carrément mystérieux.
Parmi les variables établies par la Commission du droit d’auteur afin d’encadrer ces calculs, on retrouve :
- Quel type de titulaire de licence diffuse le contenu en continu (p. ex., les FSN, les services de contournement, les sites de radio Internet dédiés, les diffuseurs traditionnels offrant des diffusions simultanées sur Internet, les sites permettant aux utilisateurs de générer leur propre contenu, les sites de jeux, la SRC, etc.)
- Le degré d’interactivité permis (p. ex., diffusion en continu non interactive, semi-interactive ou interactive)
- Si les contenus sont générés par les utilisateurs (p. ex., vidéos sur YouTube)
- La façon dont le titulaire de la licence génère des revenus (c.-à-d. par le biais d’abonnements payants, de frais de visionnement à la carte ou de publicité).
- Si le service par abonnement offre une période d’essai gratuit
- Si le licencié est Canadien
Bien que, par rapport au téléchargement, il y ait plus de variables qui s’appliquent à la diffusion en continu, c’est l’attribution et la répartition de ces redevances aux ayants droit individuels qui génèrent une grande partie de la confusion. La méthode la plus courante consiste à établir un bassin de redevances à partir des revenus bruts (provenant des abonnements payants et/ou de la publicité) perçus par le FSN, puis à répartir les fonds entre les ayants droit en fonction du pourcentage du nombre total de diffusions en continu de leurs œuvres musicales.
Voici un exemple concret d’un tel calcul :
- Si les revenus bruts de Spotify au Canada pour un mois donné sont de 25 millions $, le bassin de redevances d’exécution allouée à la SOCAN pour ce mois serait de 1 325 000 $ (5,3 %, comme le prévoit le tarif), et le bassin de redevances mécaniques alloué à la CMRRA et à SOCAN DR, et partagé entre elles, serait de 372 500 $ (1,49 %).
- Si, au cours de ce même mois, des œuvres musicales sont diffusées en continu un milliard de fois au Canada, le taux de redevance pour l’exécution serait de 0,001 325 $ par diffusion en continu (1 325 000 $ divisé par un milliard) et le taux de redevance mécanique serait de 0,000 372 5 $ par diffusion en continu (372 500 $ divisé par un milliard).
- Par conséquent, si les œuvres musicales appartenant à un créateur de musique particulier et à son éditeur (si tel est le cas) totalisent 50 000 diffusions sur un milliard, ces ayants droit recevront, collectivement, des redevances d’exécution s’élevant à 66,25 $ et des redevances mécaniques s’élevant à 18,63 $, moins les frais généraux déduits par les sociétés collectives. Aux États-Unis, les redevances d’exécution et les redevances mécaniques sont combinées pour former un bassin de redevances « tout inclus ».
C’est ce que l’on appelle souvent l’allocation de redevances « au prorata », et si Spotify et de nombreux autres services de diffusion en continu l’ont adopté comme modèle privilégié, il est loin d’être le seul. Les plateformes définissent les flux différemment : par exemple, certaines exigent qu’un enregistrement sonore ou une production audiovisuelle soient consommés pendant une durée minimale pour être comptabilisés comme une diffusion, et beaucoup évaluent également différemment la valeur de chaque diffusion.
Pour les diffusions en continu d’œuvres musicales intégrées dans des productions audiovisuelles, les calculs peuvent être encore plus granulaires puisqu’un simple film ou épisode d’une émission de télévision peut inclure un grand nombre de « cues » et de chansons, provenant parfois de divers créateurs et éditeurs de musique. En outre, le pourcentage de la redevance par diffusion en continu reçue par chaque titulaire de droits est soumis à bon nombre des variables utilisées pour calculer les redevances d’exécution générées par les diffusions audiovisuelles traditionnelles, y compris la durée de chaque « cue »/chanson par rapport à la durée totale de la musique dans la production, et la manière dont chaque « cue »/chanson est utilisé (c.-à-d. comme thème musical, d’avant-plan ou de fond ou indicatif). Heureusement, tous ces détails sont inclus sur les rapports de contenu musical soumis à la SOCAN pour chaque production.
Bien entendu, tout cela suppose que le créateur de musique n’a pas renoncé à son droit de recevoir des redevances, ce que beaucoup sont contraints de faire pour obtenir une commission. Apprenez-en plus au sujet des rachats et de leur impact sur les revenus des créateurs.
Un cas spécial : contenus non commerciaux générés par les utilisateurs
Bien que l’utilisation de musique sans autorisation dans une vidéo qui est ensuite téléchargée et partagée en ligne puisse sembler être une violation évidente du droit d’auteur, ce n’est pas nécessairement le cas, selon la loi canadienne en matière de droit d’auteur.
La partie III de la Loi sur le droit d’auteur détaille un certain nombre d’exceptions à la violation, et l’utilisation de matériel protégé par le droit d’auteur dans le « contenu non commercial généré par l’utilisateur » (ou « CGU ») en est une. Englobant les vidéos de chats jusqu’au récital de danse de votre nièce, les CGU sont considérés comme un exemple d’« utilisation équitable » tant que, entre autres critères, la nouvelle œuvre n’est pas utilisée à des fins commerciales et n’a pas « d’effet négatif important, financier ou autre, sur l’exploitation ou l’exploitation potentielle de l’œuvre existante ». En vertu de ce que l’on appelle souvent les dispositions « règles d’exonération » (« safe harbours ») de la Loi, les services CGU eux-mêmes sont également exempts de responsabilité puisqu’ils sont considérés comme de simples conduits de contenu.)
Même si des plateformes comme YouTube et TikTok présentent principalement du CGU, elles versent des droits d’exécution et de licence mécanique aux sociétés collectives canadiennes. La SOCAN, SOCAN DR et la CMRRA ont négocié des ententes directement avec plusieurs de ces plateformes.