Chaque créateur de musique peut et doit décider de ce qui est dans son intérêt sur le plan professionnel et financier. Mais pour faire des choix éclairés, ils doivent savoir quelles sont les options qui s’offrent à eux et quelles sont les implications de ces options. Il n’y a aucun doute que les rachats sont l’une des pratiques contractuelles les plus importantes à comprendre pour les créateurs de musique.
Qu’est-ce qu’un rachat?
En général, un rachat se matérialise lorsqu’un créateur renonce à une partie ou à la totalité de ses droits sur une œuvre créative – et à une partie ou à la totalité des redevances que cette œuvre générera – en échange d’un paiement forfaitaire en amont.
Dans un rapport sur les rachats, Music Creators North America a identifié quatre grandes catégories d’ententes de rachat pour les créateurs de musique, qui diffèrent sur des points essentiels :
- Les rachats complets de droits d’auteur impliquent la cession de l’ensemble des droits d’auteur d’une nouvelle œuvre musicale à un client en échange d’une rémunération unique et sans compensation supplémentaire (y compris les redevances) pour le créateur.
- Les rachats limités de droits d’auteur impliquent également la cession de l’intégralité des droits d’auteur d’une nouvelle œuvre musicale à un client en échange d’une redevance unique – mais le créateur conserve certains droits (dont les droits d’exécution font généralement partie) qui lui permettent de percevoir des redevances.
- Les rachats sous licence directe pour un projet impliquent l’octroi d’une licence d’une nouvelle œuvre musicale à un client en échange d’une rémunération unique, le créateur conservant la pleine propriété du droit d’auteur et de tous les droits associés.
- Les rachats de la part d’auteur impliquent la cession de la part du droit d’auteur revenant à l’auteur – y compris le droit de recevoir la part de l’auteur de toutes les redevances – dans une œuvre existante (plutôt que nouvelle) à une autre partie pour une redevance unique et sans compensation supplémentaire.
Bien qu’il soit souvent avantageux pour les créateurs de conserver autant de leurs droits qu’ils le peuvent, il existe un précédent historique pour accepter certains types de rachats dans des contextes spécifiques.
En Amérique du Nord, les rachats sous licence directe pour un projet et les rachats limités (numéros 2 et 3 ci-dessus) sont des types d’entente courants entre les créateurs de musique et les sociétés de production. Les créateurs qui concluent ces ententes le font parce qu’un client le leur demande ou l’exige, ou parce qu’ils estiment que les revenus de redevance qu’ils recevront en conservant certains droits (comme la part d’auteur dans les redevances d’exécution) justifient l’abandon d’autres droits. Il convient de noter que, lorsqu’un créateur accepte un rachat limité de droits d’auteur, il s’attend généralement à recevoir un montant initial substantiel à titre de compensation supplémentaire pour les droits accordés.
Et même si les rachats de la part de l’auteur dans un droit d’auteur (numéro 4 ci-dessus) exigent que les créateurs de musique renoncent aux droits d’auteur et à toutes les redevances associées à leurs œuvres préexistantes, ces ententes, telles qu’elles sont définies, s’appliquent principalement aux auteurs bien établis qui ont tendance à avoir le dessus dans les négociations. Leur musique a déjà prouvé sa valeur, ils peuvent donc en exiger un juste prix comme l’a fait Bob Dylan en 2020, lorsqu’il a vendu son catalogue d’œuvres existant à Universal Music pour des centaines de millions de dollars. Néanmoins, tout créateur – nouveau ou établi – peut se voir proposer ce type de rachat, et il doit examiner très attentivement les implications financières d’un tel accord. Ils doivent également s’adresser à leur organisme de défense des droits d’exécution (ODE), qui est la SOCAN au Canada, pour connaître la politique de l’organisme à ce sujet.
Les créateurs de musique au Canada et dans le monde entier sont de plus en plus préoccupés par la prévalence croissante de clients et de licenciés qui offrent – et, dans certains cas, exigent – des rachats complets de droits d’auteur (numéro 1 ci-dessus), qui éliminent toute compensation en aval pour le créateur. C’est ce qu’on appelle parfois par euphémisme des « licences directes », puisque les titulaires de licences contournent essentiellement les sociétés collectives pour traiter directement avec les créateurs et les éditeurs de musique.
Rachat intégral des droits d’auteur
Quelles en sont les implications?
Il est essentiel que les créateurs de musique – et en particulier ceux qui débutent leur carrière – réalisent qu’une entente de rachat total les empêche de bénéficier de toute exploitation future de leur œuvre, y compris, mais sans s’y limiter, de la part de l’auteur dans leurs redevances. Pour cette raison, les transactions de cette nature constituent une « ligne rouge » que de nombreux créateurs croient fermement ne pas devoir franchir.
Même si les honoraires qu’un créateur reçoit pour un projet semblent considérables, il est impossible de savoir sans boule de cristal comment ce paiement initial se comparera aux redevances que son œuvre aura pu générer pour le reste de sa vie et 70 ans après. Une émission de télévision ou un film pour lequel ils ont créé de la musique peut devenir un véritable succès, et le nombre de diffusions en continu peut exploser. Un thème qu’ils ont écrit pour une production peut être synchronisé avec une autre – ou reproduit via une sonnerie, une carte de vœux musicale, un jouet, etc. De nombreuses sources de revenus potentielles deviennent ainsi tout simplement inaccessibles. Et pourtant, ce sont ces sources qui, au fil du temps, constituent généralement le pilier financier stable de la carrière d’un créateur de musique établi.
De plus, dans le cadre de ces ententes, les créateurs de musique sont souvent tenus de renoncer à tous les droits moraux sur leurs œuvres, ce qui signifie qu’ils n’ont pas leur mot à dire sur la façon dont leurs créations sont utilisées ou modifiées et qu’ils peuvent même ne pas être crédités en tant qu’auteurs.
L’acceptation croissante des rachats complets a également des implications plus larges pour l’ensemble de la profession de création musicale. Essentiellement, plus ce genre d’entente est signée, plus elles seront offertes. Éventuellement, les clients commenceront à écarter les créateurs qui se rebiffent, car ils savent que d’autres ne le feront probablement pas.
Pourquoi deviennent-elles de plus en plus répandues?
Les rachats intégraux ne sont pas nouveaux. À titre d’exemple, pendant des années, certains télédiffuseurs traditionnels ont tenté d’imposer et de normaliser le concept d’entente de rachat intégral pour les compositeurs à l’écran, ou de contraindre les bibliothèques musicales à accepter des ententes de « licences directes », avec plus ou moins de succès. ESPN est l’une d’entre elles, et elle s’en est bien tirée puisque les émissions qu’elle diffuse (principalement des événements sportifs) ne sont généralement pas rediffusées – elles ne génèrent donc pas de redevances permanentes – et qu’elle utilise de toute façon davantage d’œuvres provenant de banques de musique que d’œuvres nouvellement créées.
Mais les ententes de ce type ont historiquement été l’exception, et non la règle. Depuis plus d’un siècle, les ententes de licence et de rachat limité du droit d’auteur assurent généralement que la part de l’auteur dans les droits d’exécution (et les redevances d’exécution) est un élément non négociable qui reste entièrement entre les mains du créateur de la musique et qui n’est touché par personne d’autre. Néanmoins, l’ère numérique a commencé à tout bouleverser.
Une poignée de services de contournement comme Netflix et Disney+ ont accaparé les marchés du film et de la télévision en ligne. Et si ces plateformes achètent des licences et de nombreuses productions existantes, elles sont aussi d’énormes sociétés de production. Ainsi, quand un créateur de musique est engagé par Netflix pour écrire une trame sonore originale pour l’une de ses propriétés, il existe un déséquilibre important en matière de pouvoir de négociation. Netflix est à la fois le client et le licencié, ce qui lui confère donc un immense pouvoir de négociation.
De plus, les créateurs savent que les œuvres musicales écrites pour les productions développées par ces services peuvent être entendues par des millions de téléspectateurs, ce qui peut donner un coup de pouce considérable à leur carrière, il est donc compréhensible qu’ils soient très motivés à travailler avec ces maisons de production. Cette motivation peut, à son tour, devenir un obstacle dans les négociations.
Sachant qu’ils ont le dessus dans les négociations, et cherchant à maximiser leurs profits en réduisant (entre autres mesures) les droits de licence substantiels qu’ils doivent payer aux sociétés collectives, certains grands services de contournement (et d’autres sociétés de production avec lesquelles ils s’associent) ont commencé à contraindre les créateurs de musique à accepter le rachat intégral de droits d’auteur en échange de montants forfaitaires plus importants, comme si cela allait de soi.
Et bien que certains, comme Netflix, affirment qu’il s’agit simplement du point de départ de la négociation et non d’une exigence pour obtenir un engagement, de nombreux créateurs en début de carrière et moins connus, pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, ne pensent pas avoir la moindre perspective réaliste de riposter avec succès.
Comment les identifier dans un contrat
La Loi sur le droit d’auteur du Canada ne traite pas explicitement des dispositions de rachat intégral. Toutefois, cela n’a pas empêché certains des plus grands services de contournement internationaux de tenter de contourner la loi canadienne en incluant le langage de la loi américaine sur le droit d’auteur dans leurs contrats de production.
Un exemple relativement simple est la clause de rachat, qui stipule que, indépendamment de ce que le reste du contrat peut stipuler, le créateur de musique accepte de céder l’intégralité des droits d’auteur de l’œuvre musicale – et tous les autres droits associés – au client en échange d’une rémunération forfaitaire et d’aucune autre compensation de quelque nature que ce soit.
Voici un exemple de clause de rachat de la Society of Composers & Lyricists (SCL) aux États-Unis :
Librement traduit : « Nonobstant toute disposition contraire expresse ou implicite dans la présente entente, aucun autre frais, redevance ou autre compensation (fixe ou conditionnelle) ne sera versé au Compositeur en rapport avec les exploitations susmentionnées, et le Compositeur n’aura aucun droit sur les revenus générés par la Société ou ses sociétés affiliées ou désignées en rapport avec celles-ci, étant entendu que le montant forfaitaire unique (selon le cas) constitue une contrepartie suffisante et valable pour le Compositeur pour tous ces droits. »
Un exemple plus subtil (et donc plus astucieux) est l’utilisation de la formulation « œuvre à louer » dans un contrat de production. L’« œuvre à louer » (ou « œuvre réalisée contre rémunération ») est une disposition de la loi américaine sur le droit d’auteur qui stipule, entre autres, que lorsqu’un client engage un sous-traitant indépendant pour créer une œuvre qui entre dans une catégorie spécifique énumérée dans la Copyright Act américaine – y compris « une partie d’un film ou d’une autre œuvre audiovisuelle » – le client peut être désigné comme le « premier propriétaire du droit d’auteur » de cette œuvre, pour autant que toutes les parties soient d’accord.
Autrement dit, si un créateur de musique aux États-Unis signe un contrat contenant une clause d’« œuvre à louer », le client est alors réputé être le créateur ou l’auteur légal de l’œuvre musicale, et donc le propriétaire du droit d’auteur (et de tous les droits connexes).
Voici une partie d’un exemple de clause « d’œuvre à louer » de la SCL :
Librement traduit : « Sous réserve que la société paie le montant forfaitaire au Compositeur, tous les résultats et produits des services fournis en vertu des présentes par le Compositeur seront créés en tant qu’“œuvre à louer” (aux fins de la loi américaine sur le droit d’auteur et de toutes les autres lois sur le droit d’auteur dans l’univers) pour la société. »
Comme la loi canadienne sur le droit d’auteur ne reconnaît pas la clause américaine d’« œuvre à louer », les créateurs de musique peuvent contester son inclusion dans les contrats canadiens. Il convient toutefois de noter que ce n’est pas parce qu’une clause « œuvre à louer » est incluse, que l’entente constitue nécessairement un rachat complet. Si le contrat stipule également que le créateur a le droit de percevoir la part des redevances revenant à l’auteur, il s’agit en fait d’une entente de rachat limité des droits d’auteur. Et si le créateur est prêt à l’accepter, il peut décider qu’il ne vaut pas la peine de demander la suppression de la clause « œuvre à louer ».
De plus, même si un créateur au Canada signait une entente de rachat complet, il est très peu probable qu’un tribunal l’applique. Techniquement, la seule façon dont un auteur n’est pas légalement considéré comme le premier propriétaire du droit d’auteur d’une œuvre est s’il la crée en tant qu’employé d’une société ou d’un individu. La Loi sur le droit d’auteur du Canada appelle cela une « œuvre réalisée en exécution d’un contrat de travail », et elle ne s’applique pas aux créateurs de musique qui agissent en tant que sous-traitants indépendants. Apprenez-en plus sur les « œuvres réalisées dans le cadre d’un emploi » et les différences entre les employés et les sous-traitants indépendants.
De plus, si un créateur est membre de la SOCAN, il a déjà cédé ces droits à l’ODE et ne peut donc pas légalement les céder à une autre partie (cette règle s’applique également à la plupart des autres ODE dans le monde).
Comment les créateurs de musique peuvent-ils se protéger?
Comme le langage contractuel peut être compliqué et confus (souvent à dessein), la meilleure façon pour les créateurs de musique de savoir s’ils acceptent quelque chose qui leur est bénéfique est de demander à un expert juridique d’examiner (et/ou de négocier) les détails de tout contrat avant de le signer.
Cet expert peut être un avocat, un parajuriste, un agent ou un gérant. Les avocats spécialisés dans le domaine du divertissement possèdent les connaissances les plus étendues de la loi et peuvent vous conseiller sur les questions juridiques complexes qui peuvent se présenter. Les parajuristes ont une compréhension moins large du droit, mais, dans certaines provinces et certains territoires, ils peuvent néanmoins fournir certains des mêmes services que les avocats et sont souvent plus abordables.
Les agents peuvent être utiles parce qu’ils comprennent parfaitement les détails des types d’ententes que concluent généralement les créateurs de musique et qu’ils ont souvent des relations bien établies avec les titulaires de licence et les clients avec lesquels ils négocient au nom du créateur. Les gérants peuvent être en mesure de fournir une aide semblable, mais les créateurs doivent s’assurer qu’ils sont de bonne réputation et parfaitement informés.
En outre, il est important de noter que les agents et les gérants ne sont pas autorisés à donner des conseils juridiques à leurs clients, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas fournir d’avis formels ou de conseils sur des questions juridiques spécifiques. Ils ne sont pas non plus liés juridiquement par le secret professionnel, bien qu’ils adhèrent généralement à un code de conduite professionnel qui les oblige à préserver la confidentialité des informations et de la correspondance de leurs clients.
Si une entente contient une clause de rachat ou d’« œuvre à louer », le créateur ou son représentant légal peut et doit demander au client de la retirer au motif qu’elle n’est pas reconnue par la loi canadienne sur le droit d’auteur.
S’il y a lieu, ils doivent également demander la suppression de toute référence au fait que l’œuvre musicale est une « œuvre réalisée en exécution d’un contrat de travail », à condition que le créateur soit un sous-traitant indépendant.
L’adhésion à la SOCAN – ou à toute autre ODE – offre également un certain degré de protection contre les rachats complets. Parce qu’ils administrent le droit d’exécution pour un grand nombre de créateurs de musique, elles possèdent un pouvoir de négociation suffisant pour repousser efficacement les grandes entreprises qui exigent de telles ententes. C’est précisément la raison pour laquelle ces entreprises préfèrent souvent l’octroi direct de licences.
Soutenir les campagnes internationales d’éducation et de défense des intérêts des créateurs de musique, comme les campagnes de la CISAC Your Music, Your Future et de The Ivors Academy Composers Against Buyouts, peut également faire la différence. Par exemple, lorsque Discovery Inc. – la société de médias qui possède de nombreuses chaînes de télévision, notamment Discovery, TLC, The Food Network et HGTV – a annoncé au début de 2020 qu’elle exigerait de tous les créateurs de musique aux États-Unis qu’ils signent des ententes de rachat intégral comme condition de leur engagement, la réaction immédiate et massive des créateurs, des sociétés collectives et d’autres groupes de défense ont amené la société à revenir rapidement sur sa décision.
Comme le démontre cet exemple, l’union fait la force. Lorsque les créateurs de musique s’unissent pour défendre leurs droits collectivement, il leur est plus facile de le faire aussi individuellement.
Lisez la déclaration de la SOCAN sur les droits d’auteur et les rachats.
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